Le conte de la princesse aux singes...

Publié par Rémi Remoussenard

En un temps éloigné d'ici, dans un pays passé, vivait une lumineuse princesse.

Elle était belle, elle était douce, et elle était fort appréciée de tous les sujets du royaume.

Chacun évoquait sa douceur, et aussi sa fragilité qui, hélas, rendait sa santé précaire, donnant à son regard un semblant de mer triste, et à son fin sourire un petit vague à l'âme...

La princesse était généreuse, on la voyait souvent donner.

On la voyait aussi prendre soin des malades.

On la voyait défendre de justes causes.

On la voyait écrire de magnifiques poèmes.

On la voyait comme une si gentille princesse...

On la voyait...

Et chacun s'étonnait: comment se fait-t-il qu'une telle princesse n'eut pas encore trouvé son prince? N'y-a-t-il, dans les royaumes alentours, aucun fils de roi qui fut assez valeureux?

Il y avait bien, de temps à autre, un prétendant qui tournait autour d'elle, comme l'oiseau exotique, enivré de pollen, tourne autour d'une fleur... Et puis, soudain, plus personne!

La princesse s'en montrait fort triste: "mon prince m'a délaissée, quel méchant homme il fait pour briser ainsi mon coeur!" Et tous ses sujets reprenaient ses lamentations. Vraiment cette douce princesse ne méritait pas cette malchance... Ces princes ne sont ils donc tous fait que de cruauté? Si souvent, on voyait la princesse pleurer...

On la voyait...

Mais cette princesse si lumineuse avait un sombre secret, qu'elle gardait autant qu'elle le pouvait, comme si sa vie en dépendait. Lorsque, dans le secret de sa chambre, un prince l'embrassait, il était aussitôt changé en singe. Comme redevenue petite fille, la princesse prenait les pauvres animaux pour jouets, tantôt les cajolant, tantôt les ignorant, tantôt les rejetant, tantôt les accusant et les brutalisant...

On ne la voyait pas!

Enfermant l'un d'eux dans une cage, et se montrant douce avec un autre...

On ne la voyait pas!

En affamant un autre, tout en lui montrant un fruit qu'il n'attraperait jamais...

On ne la voyait pas!

Et, comme enivrée par ce qu'elle faisait subir aux pauvres animaux, la princesse riait aux éclats, mais d'un rire a glacer le sang de tout être possédant un coeur... Car, et c'était ce qu'elle craignait le plus de voir découvert: la princesse n'avait en elle rien d'autre qu'un vide béant...

On ne le voyait pas...

Elle en concevait une secrète et profonde détestation pour ceux qui croyaient en l'Amour, qui lui restait interdit... Et faisait tout pour détruire en eux jusqu'à la moindre parcelle cette croyance... Remplaçant l'Amour par l'effroi...

On ne le voyait pas...

A force de subir ces tourments, les singes finissaient brisés. La princesse s'en débarrassait alors, comme on jette une écuelle cassée, à la faveur de la nuit...

On ne la voyait pas...

Ils se retrouvaient errants, mi-hommes, mi-singes, portant le visage fermé des hommes ayant connu la souffrance, et les yeux toujours grands ouverts de ceux qui craignent éternellement un malheur imminent...

Il vivaient cachés, tentant de retrouver d'abord une once de dignité...

On ne les voyait pas...

Même pendant leur captivité, tout comme les jouets étaient en fait des singes, les singes restaient aussi des princes, horrifiés de se retrouver réduis à l'état d'animal captif par cette princesse malveillante... 

Un jour, cependant, un prince changé en singe conjura le mauvais sort. Regroupant avec peine ses forces, et ce qui lui restait malgré tout de fierté et d'honneur, il réussi à articuler, avec la maladresse de ses mâchoires de primate, les trois mots magiques qui allaient le libérer: "je vous quitte".

Il retrouva aussitôt sa forme de prince, et sorti de la chambre, non sans que la princesse, d'abord surprise, eut encore essayé  - en vain - de l'embrasser...

Ce jour-là, la princesse a pleuré pour de vrai. Elle avait perdu son jouet préféré. Tout le monde connaissait ses pleurs...

On ne les voyait plus...

Connaitre cette histoire n'a pas été facile... C'est celle d'un prince disparu pendant des années, et qui se refusait à dire ses mésaventures...

Parce que, voyez-vous, pour tous les sujets, les princes étaient si méchants, et la princesse était si fragile, et si gentille...

On le voyait bien...

Le prince a gardé dans son coeur le petit souvenir d'une gentille princesse qu'il a aimée... Et qui n'a jamais existé. Il a fait le deuil de cette chimère, et continue son chemin, plus fort des épreuves endurées, et le coeur ouvert à ce que la vie lui offrira de meilleur...

PS: aux personnes qui, éventuellement, trouveraient ce conte misogyne, je propose un marché: vous fermez les yeux sur celui-là, et en échange on continue de fermer les yeux sur... Barbe Bleue!

PS2: Ce conte m'a été inspiré par le concept de flying monkeys, avec ici des rôles inversés (les flying monkeys sont les sujets du royaume). J'ajoute qu'il ne s'agit pas ici de condamner au bûcher les princesses (ou princes) aux singes de ce monde. Simplement de savoir qu'ils existent. Et puis, si nous avions eu leur enfance, pouvons-nous vraiment assurer que nous serions meilleurs qu'eux aujourd'hui? J'en doute... Et même notre infortuné prince peut se demander pourquoi, parmi toutes les princesses, il a choisi celle-là... Peut-être qu'un autre conte nous dira comment, grace à cette mésaventure, et donc grace à la princesse aux singes, il a pris la décision d'aller maintenant visiter sa propre ombre...

Publié dans Pervers Narcissiques

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