Pourquoi la spiritualité? La réponse d'un chaman...

Publié le par Rémi Remoussenard

Dans nos cultures qui ont tendance à se limiter au matérialisme et à reléguer le spirituel au passé ou aux cultures dites primitives, on peut se poser la question du sens, voire de l'utilité, de la spiritualité. Et aussi de comment, et pourquoi, les traditions spirituelles naissent, se transmettent et évoluent... Voyons ce que le chamanisme peut en dire avec, comme toujours, un regard pragmatique...

A l'origine: l'expérience mystique

Partons de l'extérieur du chamanisme, pour nous intéresser d'abord à d'autres voies. Beaucoup de traditions spirituelles commencent par l'expérience mystique d'un fondateur: Jésus, Bouddha, etc... C'est le chemin parcouru par ces fondateurs qui inspirera ceux qui les suivront sur leur propre voie, en transmettant diverses techniques telles que la prière, la méditation, la contemplation, le jeûne, etc... Même si l'on utilise rarement cette expression pour les qualifier, il s'agit bien de techniques de modification d'état de conscience.

Le chamanisme possède son propre lot de techniques visant à modifier l'état de conscience. Notre pratique occidentale utilise le tambour, le hochet, les chants... Et l'état de conscience modifié en question, que l'on appelle la transe, peut être qualifié d'état mystique.

Les cultures plus anciennes, que j'appellerai premières plutôt que primitives, font souvent appel à des substances psychotropes, telles que l'ayahuasca, décoction concentrée de deux plantes d'Amazonie. La science a élucidé le fonctionnement biochimique de cette préparation. Sa découverte, il y a plusieurs milliers d'années, par les indiens d'Amérique du sud, reste par contre bien énigmatique. Comme le rapporte l'anthropologue Jeremy Narby, la forêt amazonienne rassemble 80 000 espèces de plantes. Sachant que les deux plantes utilisées sont inopérantes seules, comment un peuple dit "primitif" a-t-il pu découvrir cette recette parmi les 6,4 milliards de combinaisons possibles? Et le mystère se creuse encore lorsque l'on sait que la partie de chaque plante utilisée a aussi son importance, ce qui multiplie encore le nombre de possibilités... Lorsque l'on interroge les indiens à ce propos, leur réponse est toujours la même, et est indéniablement spirituelle: ils ont reçu l'information de l'esprit de la plante...

La transmission

Les voies spirituelles occidentales et orientales sont transmisses depuis longtemps, et avec très peu d'altérations, par l'écriture. Les peuples premiers ne disposent pas de ce moyen, et pourtant leur savoir perdure. Les indiens d'Amazonie connaissent l'utilisation de centaines, voire de milliers de plantes, aussi bien dans leur préparation que dans leur application. Est-ce que ce savoir, vaste et précis, peut vraiment être transmis oralement?

Toute personne ayant participé au jeu du "téléphone arabe", dans lequel un groupe échange oralement, de personne à personne, une histoire fixée au départ, a vu combien celle-ci était méconnaissable lorsque la dernière personne la racontait. Alors comment le savoir amazonien peut-il être transmis au travers de multiples générations sans perdre de sa substance? Si, en l'absence d'écriture, l'homme n'est pas un vecteur fiable, existe-t-il un autre vecteur?

L'hypothèse spirituelle

Dans la pratique de la religion chrétienne, pour obtenir des réponses à nos interrogations, on s'adresse aux saints, aux anges et archanges, à Marie, à Jésus, ou à Dieu. De manière similaire, les amérindiens s'adressent aux esprits des plantes, des animaux, des pierres, des lieux, et à d'autres esprits non incarnés... Ils donnent une grande place à l'esprit de la terre et celui du ciel, que l'on pourrait assimiler à Marie et à Dieu. Dans la tradition des sioux Lakotas, le "Grand Esprit", situé dans le ciel, est même considéré comme trop sacré pour que l'on s'adresse à lui directement, on fait donc appel à un intermédiaire, ce qui dans la religion chrétienne est appelé "intercession". Dans tous les cas, l'information vient, comme la recette de l'ayahuasca, de ceux que l'on peut appeler globalement "esprits", c'est ce terme générique que j'emploierai dans la suite de cet article. Je laisse le soin au lecteur, si besoin est, de remplacer dans sa lecture le terme "esprits" par d'autres mots qui seraient plus en accord avec ses croyances.

Si les hommes sont peu fiables dans la mémorisation et la transmission orale, et que les cultures qui n'utilisent pas l'écriture conservent malgré tout leurs traditions spirituelles, est-ce que la mémorisation de ces traditions ne serait pas justement le fait des esprits, qui ont en outre l'avantage sur les êtres incarnés d'être éternels? Est-ce que la spiritualité serait justement l'accès régulier à cette mémoire par l'intermédiaire des ces esprits? Et est-ce que cela n'expliquerait pas que les cultures qui ont tendance à abandonner le spirituel sont des cultures dans lesquelles l'écrit est fortement présent?

Tradition et évolution

Dans beaucoup de traditions spirituelles on rencontre une opposition entre les tenants d'une pratique strictement conforme à ce qui a été transmis, oralement ou par l'écrit, et les tenants d'une évolution de la pratique qui l'adapterait aux besoins de l'époque.

La pratique des sioux Lakotas a particulièrement bien intégré cette controverse épineuse. Celui qui le souhaite peut participer à une quête de vision, un temps de quatre jours et quatre nuits, passé seul, sur un petit lieu délimité, isolé dans la nature, sans abri, et surtout sans manger ni boire. Le but est de pouvoir, par l'état de conscience modifié engendré par le jeûne, l'isolement et le contact avec la nature, recevoir une vision de ce que l'on devra réaliser dans les années à venir. On retrouve le même genre de pratique dans les "retraites au désert" et les ermitages de la tradition chrétienne. Ce qui est intéressant, c'est que celui qui revient de sa quête va mettre en oeuvre sa vision, et y sera encouragé par la tribu, même si cela va à l'encontre de la tradition. Ce qui est reçu des esprits est ici prioritaire sur ce qui est reçu des hommes.

On pourrait croire que cette pratique est pleinement favorable à l'évolution constante de la spiritualité. C'est oublier le fait que la vision du quêteur peut l'amener à revenir à une pratique traditionnelle jusqu'alors abandonnée. 

L'objectif ici n'est pas de respecter la tradition où de la réformer. Il s'agit, de façon plus pragmatique, de trouver le chemin qui est, aujourd'hui, le plus juste pour soi. En prenant bien sûr en compte les proches et la communauté.

Chemin juste et plan d'âme

Définir ce qu'est le chemin juste est délicat, il s'agit plus d'une affaire de ressenti que de réflexion. Ce terme, "juste", ne se réfère pas à la justice: il s'agit plutôt de justesse. Comme lorsqu'un musicien trouve la note juste. Il pourra même improviser, parce qu'il sait intuitivement rester dans la même tonalité, et donc en harmonie.

L'harmonie musicale se mesure entre les notes, on pourrait donc croire que l'harmonie d'un chemin spirituel se mesure entre les individus... N'y aurait-il pas plus? Plus intimement personnel? Ceux qui sont attentifs à la justesse de leurs décisions savent qu'ils se tournent, pour mesurer celle-ci, vers leur for intérieur...

Certaines traditions nous disent qu'avant de s'incarner, notre âme va construire un plan d'âme, sorte de programme de ce que nous allons expérimenter pour nous réaliser. Ce plan est établi en accord avec une "autorité spirituelle supérieure", que l'on peut appeler la Source, Dieu, l'Univers... Ce plan d'âme pourrait justement être l'aune à laquelle on mesure la justesse de nos décisions... L'accord, pour reprendre le terme musical, serait entre nos décisions actuelles et le plan que nous avons défini à l'avance... Le juste chemin est alors celui qui nous mène à notre réalisation... Réalisation de nous-même par l'avancée vers les objectifs que nous nous sommes fixés.

L'oubli du plan d'âme

Pour la plupart des êtres humains, et peut-être même tous, le plan d'âme semble avoir été oublié à la naissance. On peut se poser la question de la fonction de cet oubli. Je pense que connaitre ce plan à l'avance pourrait à la fois fausser notre chemin de vie en nous évitant d'avoir à prendre des décisions, et aussi nous donner la désagréable impression d'être sur des rails qui limitent nos parcours. Nous reviendrons sur le libre arbitre...

Mais nous ne sommes pas non plus laissés complètement à nous-même. La pratique spirituelle est justement là pour nous relier à l'autorité spirituelle supérieure, ou à un autre esprit, qui a accès à la mémoire de notre plan d'âme. A chaque instant de notre vie, nous pouvons demander notre route. Un sourire me vient: serait-ce à cause de la difficulté des hommes à arrêter leur voiture pour demander leur chemin qu'ils seraient plutôt moins spirituels que les femmes?

Spiritualité à double sens

La spiritualité est une pratique à double sens. Il y a ce à quoi on aspire, que j'appelle l'aspiration, qui part de nous pour aller vers les esprits, et qui va être le sujet de nos prières, demandes, etc... Dans l'autre sens, l'inspiration descend des esprits sous forme d'intuitions, de réponses, d'inspirations artistiques ou techniques, ou de visions. Il est intéressant de noter que l'accès à notre plan d'âme peut être une explication à la vision d'évènements futurs de notre vie.

Lorsque notre aspiration est en accord avec les inspirations, que nos demandes sont en accord avec notre plan d'âme, nous sommes dans un état de cohérence qui va fortement augmenter notre potentiel. Il est donc très favorable de demander, s'ils ne sont pas clairs pour nous, quels sont les objectifs que nous nous sommes fixés dans le plan d'âme, et de demander ensuite des informations, des moyens et de l'aide, pour les réaliser.

A chacun sa part...

Bien sûr, les esprits ne vont pas faire à notre place le chemin que nous avons prévu de parcourir. On peut voir les choses de la manière suivante: les esprits ont foi en vous, ils vont donc, lorsque vous leur demandez, faire leur part dans leur monde... A leur tour ils vous demanderont de montrer que vous avez foi en eux, en faisant votre part dans ce monde... Le proverbe le dit très bien: aide-toi, le Ciel t'aidera!

Au niveau collectif

Nous avons beaucoup évoqué la spiritualité individuelle, qu'en est-il au niveau collectif? On peut considérer que, de la même manière qu'il existe une âme individuelle sur son chemin, il existe aussi une âme collective de la tribu ou de la société en question. La pratique spirituelle individuelle ou collective va alors influencer le parcours collectif.

Les intuitions, inspirations, réponses et visions reçues vont influencer les pratiquants en venant nourrir et éventuellement faire évoluer le culte. Elles peuvent aussi influencer la partie laïque de la société en venant nourrir et faire évoluer la culture. Sachant qu'ici aussi cette évolution peut être un retour en arrière, comme lorsqu'à la renaissance l'architecture a repris les styles grecs et romains...

Et le libre arbitre?

Le fait qu'un plan d'âme préexiste à notre naissance peut nous donner l'impression de ne pas avoir de liberté. Il faut bien avoir conscience que ce plan d'âme, que nous avons accepté, prévoit ce dont nous avons besoin pour nous réaliser dans notre incarnation actuelle.

Alors, nous avons bien sûr le choix de ne pas nous réaliser. De faire des choix contraires à notre intérêt le plus profond. Mais là, nous ne serons plus dans la cohérence favorable évoquée plus haut. La vie va devenir moins nourrissante, et moins fluide. Il est possible que des esprits tentent de nous indiquer la direction du retour vers notre meilleur chemin, par des signes d'abord, puis des obstacles...

Il peut aussi nous arriver de ne plus sentir si nous sommes encore sur le bon chemin. Nous pouvons alors nous écarter quelque peu de notre direction actuelle, et être attentifs aux réponses les plus fines que l'on obtient... Si on ressent de la fluidité, alors la nouvelle direction est bénéfique. Dans le cas contraire, mieux vaut revenir au chemin initial, sa justesse est confirmée... Dans tous les cas il faut rester mesuré dans son appréciation: le chemin juste pour nous n'est pas non plus complètement dénué d'épreuves...

Alors oui, nous avons notre libre arbitre... Simplement, si vous vous êtes préparés et équipés pour traverser à pieds le Sahara, mieux vaut éviter de changer vos plans à la dernière minute pour aller traverser le pôle nord!

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Commenter cet article

J
Bonjour Rémi, merci pour cet article. Dans la tradition de l'Inde les ascètes ne s'installent pas dans le désert mais dans la forêt... Comme le dit aussi, entre autre, l'arcane du Pendu, c'est en prenant nos distances avec nos zones de confort, notamment mentales, que nous pouvons révolutionner notre point de vue sur le monde, éliminer progressivement les filtres ou les voiles qui nous en donnent une vision déformée et laisser enfin la lumière de conscience qui nous habite rayonner et éclairer la "voie juste" dont tu parles. Bonne soirée !
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R
Merci Jyoti pour ce commentaire! J'en profite pour proposer au lecteur de passage d'aller faire un tour sur votre blog très inspirant, Regard Intérieur, en cliquant ci-dessus sur Jyoti, ou avec l'adresse http://www.shivajyotis.fr<br /> Bonne soirée!
M
Salut Rémi ! avoir le libre arbitre ça veut dire qu'on a le choix, et si on a le choix ça veut dire que quelque soit la décision, c'est ok ! et tu expliques le contraire, j'ai des doutes sur le libre arbitre, peut être qu'on en n' a pas et alors ?
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R
J'aime beaucoup ta dernière phrase! Tout est dit! :-)
M
Pour moi, la condition de l'apprentissage est le droit à l'erreur :-) <br /> Comme tu le dis, le libre arbitre se situe avant l'incarnation (Entre guillemets parce que ces contraintes sont pour moi ce que l'on a choisit avant son incarnation)<br /> Je pense qu'une fois incarné, il n'y a plus d'erreur de choix possible mais seulement des erreurs de navigation, erreurs nécessaires d'ailleurs car se sont elles qui nous tirent vers la justesse.<br /> Mais surtout je pense que croire ou ne pas croire que l'on a un libre arbitre ne change rien à nos histoires :-))
R
Salut Malika! Pour moi, il y a une part de libre arbitre, et une part de "contraintes"... Entre guillemets parce que ces contraintes sont pour moi ce que l'on a choisit avant son incarnation... Je comprend que ça puisse paraitre paradoxal, je le vois comme une navigation. Il y a le but que l'on veut atteindre (en espérant l'avoir bien choisit), et il y a les vents, les tempêtes, et les courants... Le bon navigateur observe les eaux et le ciel pour y trouver des signes... Il essaye de pré-voir le temps, les courants... Pour aller dans la bonne direction... Il ne sait peut être pas éviter les tempêtes, il apprend à les traverser plus rapidement et plus sereinement... Les choix sont toujours les siens, comme ses résultats...<br /> Pour moi, le libre arbitre est la condition de l'apprentissage... Il me revient en mémoire la voix synthétique des premiers jeux électroniques pour enfants: "Non, essaye encore!" :-)