Le chaman, un Maître?

Publié le par Rémi Remoussenard

Depuis les "Maîtres"  des éléments d'Avatar, les "Grands Maîtres" de certains courants, jusqu'aux "Maitres Zen" de l'ancien Japon, le terme nous revient régulièrement aux oreilles...

Alors on pourrait se poser la question: est-ce qu'un chaman est un Maître?

Petite réflexion - qui n'engage que moi - sur le sujet...

Maître, ou serviteur? Etymologie New Wave...

Si des fans de Depeche Mode me lisent, ils se rappelleront probablement d'un de leurs tubes: Master and Servant, que l'on pourrait traduire plus justement (étant donné le sujet évoqué) par "Maître et Esclave". "Servus", en latin, désignait l'esclave, et a aussi donné le nom de nos serfs du moyen-âge, qui n'étaient en fait - on l'oublie peut-être - que l'équivalent des esclaves de l'empire romain... Souvent le terme "Maître" renvoie à une domination ("Maître" vient du latin "magister", qui évoque celui qui dirige et/ou qui enseigne)...

Le feu et l'homme...

L'idée de cet article est venue suite à une anecdote.

Je participe régulièrement à des huttes de sudation dans la tradition des Sioux Lakotas. Au départ de ces cérémonies, on allume un feu qui va chauffer au rouge les pierres volcaniques destinées à être rentrées dans la hutte, et sur lesquelles de l'eau sera versée pour produire de la vapeur. Un "homme du feu" va être affecté à l'entretien du feu pendant plusieurs heures, ainsi qu'à récupérer les pierres dans le brasier pour les apporter dans la hutte, à chacun des 4 temps de la sudation à laquelle il participe aussi (dans ce cercle-là, dans d'autres l'homme du feu reste à l'extérieur de la hutte).

Ce jour-là, alors qu'un volontaire était demandé pour s'occuper du feu, je me suis proposé. C'est un "rôle secondaire" (après celui de guide de la hutte) qui me convient bien, si je sens sur le moment que j'ai l'énergie nécessaire.

Pendant la chauffe des pierres, qui dure habituellement 2 heures, une femme qui venait pour la première fois s'est approchée de moi pour me demander: "Vous êtes le Maître du feu?"

J'avoue avoir quelque peu sursauté intérieurement. Et je lui ai répondu, peut-être de façon un peu trop ferme: "Je suis au service du feu."

C'est une réponse relativement proche de la vision du monde des Sioux Lakotas. Dans leur formulation traditionnelle, le sujet de la phrase est toujours ce qui est le plus important. Vous allez me dire: "Ben chez nous aussi, hein!". Heu, non! Enfin, c'est une autre façon de voir les choses. Un exemple: là où l'on dirait "Je vais aller dans la montagne", un Lakota dirait plutôt "La montagne va m'accueillir"... Je vous invite à prendre un petit temps pour ressentir la différence entre ces deux formules...

Etant un fils de paysans, on m'a appris, à l'âge de 6 ans, à allumer un feu de camp sans rien d'autre qu'une allumette (et son grattoir hein, quand même!). Depuis j'ai allumé des centaines de feux (et zéro incendie!), et j'ai aussi appris à me passer d'allumette, en utilisant un firesteel ou un silex avec une pièce d'acier...

Mais jamais, absolument jamais, je ne me suis senti "Maître du feu". Pour moi, le feu a sa propre vie: lorsque vous l'allumez, il se propage (ou pas!) dans la pile de bois de manière différente à chaque fois...

On m'objectera peut-être qu'il existe des "Maîtres du feu": les pompiers, mais aussi ceux qui marchent sur des braises, les coupeurs de feu, jusqu'aux artificiers et autres spectacles enflammés (voir par exemple La Salamandre - pub gratuite parce que j'ai adoré leur prestation il y a quelques années!).

Je crois que ces personnes seraient d'accord avec moi: on ne maitrise pas le feu, on fait avec le feu. Même lorsque le but est de l'éteindre... Par expérience, je sais que l'on peut lui demander de nous éviter la brûlure... Par expérience aussi, le résultat n'est pas garanti à 100%: il dépend peut-être de la volonté ponctuelle du feu, et peut-être aussi de la qualité de la demande...

Demander...

Peut-être que finalement, plutôt que d'être un "Maître", le chaman n'est en fait qu'un demandeur... Il va demander de l'aide (des informations, des guérisons, etc...) dans le monde des esprits... Qui pour moi est aussi ce que le psychanalyste C.G. Jung désignait par "inconscient collectif"...

Lorsque je m'occupe d'un feu, je lui demande ce dont il a besoin, même avant de l'allumer. Lorsque je cuisine un plat (sans recette, comme toujours!), je lui demande comment il veut être préparé. Et lorsque je reçois une personne pour un soin chamanique, je lui demande de me dire, brièvement et de façon positive, ce vers quoi elle veut aller...

"Bon", vous allez me dire, "demander à une personne vers quoi elle veut aller, ok... Mais à un feu pas encore allumé, ou à un plat pas encore cuisiné... C'est un peu n'importe quoi, non?"

C'est là où la psychanalyse est intéressante, parce qu'elle nous dit que l'inconscient collectif ne connait pas le temps. Nos physiciens sont d'ailleurs maintenant tous d'accord pour dire que le temps n'existe pas, qu'il est une illusion due à notre conscience (voir à ce propos les vidéos de Phillipe Guillemant).

Donc, si le temps n'existe pas, et que l'inconscient collectif est en quelque sorte hors du temps (tout comme il est hors de tout lieu, ce qui permet les soins à distance), alors dans cet inconscient collectif il est possible d'aller chercher des informations au-delà de notre limite de temps habituelle. D'aller chercher, dans le futur, le feu qui flambe parfaitement, ou le plat délicieux. D'aller voir la personne guérie. Et les chemins qui mènent à ces résultats...

Ça vous parait encore bizarre? Mais voyons, par exemple, comment procède un architecte: il va commencer par imaginer ce que sera le bâtiment... Dans le futur! Puis il va élaborer les étapes de sa construction... Alors d'accord, lui ne fait qu'imaginer... La vision du chaman peut sembler proche de l'imagination, avec la pratique on apprend à sentir une "différence de saveur"... Et ce sont toujours les résultats qui valident la capacité du chaman...

"Mais, le chaman enseigne!"

J'écrivais plus haut que le Maître - le magister latin - est celui qui dirige et/ou qui enseigne. Alors oui, vous pourriez me dire que certains chamans écrivent des livres (ou des articles!), ou proposent conférences ou des stages (pour l'instant je n'en propose pas)... Ce ne serait pas de l'enseignement? Eh bien, pour moi, non!

Je m'explique: pour moi, les articles, les livres ou les conférences ne sont que de l'information sur ce qu'est le chamanisme. Ils ont cependant l'avantage de mieux faire comprendre au plus grand nombre ce qu'est le chamanisme.

Les stages, quand à eux, ne sont pas des enseignements: ce sont - s'ils sont bien menés - des initiations. Parce que le chamanisme n'est pas comme la physique, ça n'est pas une somme de savoirs à acquérir, de la mécanique de Newton à la mécanique quantique. Le chamanisme est une pratique de l'esprit, au même titre qu'il y a des pratiques du corps, comme les sports. On ne devient pas sportif grâce à des articles, des livres, des conférences ou des stages. On devient sportif parce que l'on a été initié au sport en question (par exemple lors de stages), et que l'on a pratiqué par la suite.

Quand je parle d'initiation, ne vous imaginez pas que l'on est radicalement transformé, changé en "grand sage" du jour au lendemain. Même si certaines expériences peuvent remuer nos conceptions de fond en comble, l'initiation est juste le commencement. C'est le voyage que l'on initie, juste le premier pas...

Mais il y a chez les chamans une curiosité... Un chaman est un explorateur... Alors on espère secrètement que le voyage se poursuivra toujours!

Chamanisme et pouvoir

Vous me direz peut-être que le chaman a un pouvoir, et que par ce pouvoir il dirige, qu'il est donc, de ce fait, un "Maître"...

Effectivement, lorsque je pratique un soin chamanique, je suis le "Maître" de l'opération... Comme un chirurgien va être maitre de son intervention: il devra garder son sang froid quoiqu'il se passe. Et si le chirurgien peut être confronté à des choses peu ragoûtantes qu'il devra enlever, ou à des complications encore jamais rencontrées, on peut en dire autant du chaman...

Il y a quand même une différence notable entre un chirurgien et un chaman - non, ça n'est pas le costume! Le chaman fonctionne en état de conscience modifié, et sous la guidance de ses alliés (guides spirituels et animaux totems). Donc oui, d'une certaine manière, dans le soin, le chaman est le Maître, il est aussi dirigé par ses alliés. Il est à leur service...

"Ça doit être chouette d'être chaman!"

Euh... Oui et non! Il y a quand même des contraintes, par exemple d'hygiène de vie (je ne bois pas d'alcool si j'ai un soin dans les 24h qui suivent)... Et d'autres choses que l'on ne peut pas faire, comme s'aveugler soi-même... Dit autrement, il est interdit de ne pas voir... Ne pas voir ce qui se passe de tordu chez une personne, ou dans un groupe...

Cela mène à faire des choix, entre révéler ce que l'on voit ou prendre de la distance... Le choix se fait souvent en fonction de la présence ou non de forces qui pourraient contribuer à une évolution positive... Dans aucun cas on ira alimenter un fonctionnement "pathologique", parce que le chaman est là pour guérir...

Alors ça demande certains renoncements, souvent mal compris par l'entourage...

Mais, lorsque l'on est chaman, on se fout complètement d'être qualifié de bizarre!

Et finalement, c'est peut-être là où le chaman est un "Maître": il est le Maître de sa propre vie!

 

 

 

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